lundi 23 février 2015

DROIT 2015 - Le blues des forces de sécurité - Délinquance, justice et autres questions de société





Curieuse actualité en ce début d’année 2015 concernant les forces de sécurité Françaises. Pour celles du Ministère de l’Intérieur une partie de la population a acclamé les policiers et les gendarmes pour saluer leur engagement lors des sanglants épisodes terroristes. Évidemment au pays de Guignol qui rosse le gendarme et qui manifeste régulièrement sa fronde et son attachement aux libertés individuelles cela pouvait surprendre. On venait de découvrir que la mission de sécurité intérieure n’était pas qu’exclusivement suspecte de porter atteinte aux libertés mais qu’elle pouvait au contraire participer à préserver ces mêmes libertés et notamment celle d’expression.

Pourtant après les « vivats » chaleureux qui ont à n’en pas douter fait chaud au cœur des fonctionnaires et militaires de la sécurité intérieure, le ministre a fait connaître par voie de presse les termes d’un plan « anti-suicide » pour les policiers et gendarmes.



Du côté de la force de sécurité militaire engagée contre le terrorisme dans les opérations extérieures et désormais sollicitée à l’intérieur des frontières, la population soutient également son action. Cependant dans le même temps on apprend que c’est la justice Européenne qui a été obligé de statuer pour lui accorder un légitime droit d’association et par ailleurs un rapport parlementaire met en exergue lui aussi la souffrance des militaires pour lesquels on ne prendrait pas assez en compte les dégâts causés par ce qu’il est convenu d’appeler les « chocs post-traumatiques », c’est-à-dire la blessure psychologique lors des missions de combat.



Ainsi paradoxalement pendant que la population rend hommage à ces hommes et femmes du service public de la sécurité on perçoit que derrière les belles images et les déclarations grandiloquentes des officiels il existe des problématiques internes créant un mal être pour les personnels.



Il n’est pas très nouveau que les fonctionnaires et militaires qui composent les effectifs en charge de l’exercice de « la violence légitime » soient confrontés à l’horreur. C’est d’ailleurs assez différent entre le policier et le soldat. Nous savons notamment grâce aux divers témoignages que pour le policier il s’agit généralement d’une usure psychologique au fil du temps. Effectivement, celui-ci gère le conflit en permanence et il ne doit pas éliminer l’un ou l’autre protagoniste du conflit mais tenter de rééquilibrer le rapport de force entre les victimes et les auteurs. En réalité, le policier est souvent au contact du sordide et cela peut finir par lui déformer son rapport à l’humain tant il rencontre plus que les autres la perversité. Le militaire est lui en théorie moins souvent confronté au micro conflit, il est par contre en capacité d’éliminer l’ennemi donc la violence ultime fait partie de la tâche. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, la mission militaire d’aujourd’hui est le plus souvent une intervention pour rééquilibrer le rapport de force au sein d’une population dans un contexte de guerre civile. Cette analogie avec la mission de police est intéressante car elle pourrait être la source des mêmes causes produisant les mêmes effets. D’autant que dans le récent rapport parlementaire il paraît clair que la souffrance des soldats est plus vive lors des opérations en Afghanistan ou en Centre Afrique qu’au Mali ou se déroule des combats plus traditionnels entre une armée régulière et des terroristes constitués en bandes armées.



Ainsi les policiers et militaires ont de tout temps travaillé dans des conditions difficiles, aujourd’hui on semble donc mieux prendre en compte les blessures psychologiques moins visibles que les blessures physiques mais bien plus pernicieuses. On ne lie plus systématiquement les problèmes d’addiction et de dépression aux situations personnelles et on accepte enfin de reconnaître une pénibilité professionnelle pouvant conduire à des situations de détresse psychologiques. Cependant, cette pénibilité professionnelle identifiée est elle la seule cause du mal être constaté ? Si les policiers et militaires peuvent parfois avoir du mal à gérer le stress professionnel, est ce que ce stress provient exclusivement des situations violentes rencontrées au cours des missions ? En tout état de cause, pour l’heure les remèdes portés par le ministre de l’Intérieur concernant les policiers n’ont trait qu’à ce volet du stress.



Pourtant, en y regardant de plus près, on peut se rendre compte que d’autres facteurs de stress ne sont pas évoqués et qu’ils pourraient se révéler tout autant dommageables. Pour ce qui me concerne au travers de mon expérience professionnelle, ce n’est pas la violence liée au maintien de l’ordre ou à la délinquance générale qui a été la plus dure. Pour moi et nombre de collègues avec lesquels je me suis entretenu du sujet, le plus compliqué à admettre c’est le désarroi des victimes qui peut nous mettre face à notre impuissance ou notre échec dans la mission. J’ai vécu cela notamment lors de mon passage dans la mission de sécurité routière. En effet, même si pour tous les collègues qui interviennent sur les accidents mortels de la route, ce sont des visions d’apocalypse tant les chocs sont dévastateurs, l’avis à la famille qui doit suivre est un épisode qui marquait également très durement mes collaborateurs et moi-même.



Plus tard, une carrière est ainsi faite, à contrario j’ai eu la chance de rencontrer des policiers qui m’ont expliqué leur bonheur professionnel. Ceux-là, paradoxalement, pour la plupart n’étaient pas volontaires pour la mission qui leur était confiée. Ils n’étaient pas non plus affectés dans des zones connues pour la quiétude et l’excellence du climat car j’évoque les policiers affectés dans les quartiers sensibles lors des dernières expériences de police de proximité. A l’occasion d’une étude que j’avais réalisé au profit de l’INHESJ j’avais pu rencontrer un certain nombre de ces policiers quelques années plus tard. La majeure partie de ces policiers expliquaient que si les débuts de leur nouvelle mission avaient été difficiles car il fallait physiquement s’imposer pour reprendre pied à l’intérieur des quartiers, rapidement ils appréhendaient parfaitement leur nouvel univers devenant ainsi en quelques mois des fonctionnaires heureux.



Ces policiers étaient professionnellement comblés car ils étaient efficaces dans leur mission, ils disposaient d’une reconnaissance de la population et ils étaient reconnus par les autorités locales. En effet, ils étaient efficaces car connaissant la population il n’était plus nécessaire de mener de fastidieuses enquêtes pour trouver les auteurs d’infractions grâce au riche et pertinent renseignement opérationnel dont-ils disposaient. Ils étaient appréciés par la population de par leur efficacité et leur proximité, la relation s’établissait sur la confiance et le service rendu qui pouvait revêtir de nombreuses formes. La relation n’était plus basée sur le rapport de force mais au contraire, c’est la population qui pouvait le cas échéant devenir protectrice du policier celui-ci étant devenu au fil du temps « son policier ». Ils étaient également reconnus par les autorités locales car il leur était possible d’apporter des solutions simples et rapides aux problèmes posés, ainsi les élus ou présidents d’associations ne perdaient plus de temps à appeler le chef du service, ils sollicitaient en direct « le policier référent ». Ce sont tous ces éléments réunis qui donnaient un fort sentiment de satisfaction aux policiers rencontrés. Au travers donc de ma propre expérience j’ai pu mesurer que le stress policier n’est pas lié qu’au sordide des situations, il serait donc intéressant de faire apparaître et mesurer les autres paramètres.



L’un tient vraisemblablement à la mission elle-même, quel est l’objectif de la mission policière ? Jusqu’en 2002 la mission du policier était de réguler la paix publique mais avec l’arrivée de la statistique manichéenne et des indicateurs de performance la mission s’est transformée sensiblement. Le pouvoir d’alors relayé par une hiérarchie complaisante a demandé au policier de se métamorphoser en « producteur d’affaires », les indicateurs de paix publique n’étant plus pris en compte seul le nombre d’affaires faisait la qualité du travail policier.



Cette nouvelle pratique professionnelle résolument tournée vers la police judiciaire a eu pour effet de compliquer le rapport entre le policier et la population d’une part parce que le policier ne s’intéressait plus qu’aux délinquants se déconnectant peu à peu du reste de la population et d’autre part parce que le policier soucieux de soigner la statistique devait laisser de côté la qualité pour ne s’intéresser qu’à la quantité. Concrètement, sous pression du chiffre à rendre, il vaut mieux se créer ses propres affaires : stupéfiants, étrangers, police routière que d’investir du temps pour élucider des affaires de cambriolage ou de vols qui pénalisent pourtant davantage la population.



Un autre effet de cette pratique professionnelle est l’inévitable prise de conscience policière de l’inadéquation entre plus d’affaires et meilleure tranquillité publique. Les policiers les plus énergiques finissent par s’épuiser dans l’incessante production d’affaires. Ils sont, par ailleurs parfaitement placés pour jauger de l’invraisemblable taux de récidive qui est le signe manifeste de l’inefficacité de ce « taylorisme » appliqué à la sécurité intérieure. De plus, cette récidive conduit à compliquer le travail policier. En effet pour un primo-délinquant l’affaire sera généralement assez simple en revanche au travers de la récidive ce délinquant va « s’ aguerrir ». Entre procédure et univers carcéral il va donc se former aux parcours et deviendra logiquement plus « performant » lors de chaque nouvelle mise en cause.



Le policier d’aujourd’hui est également confronté à une pratique managériale du 19ème siècle. Outre le pervers système de prime instauré pour gratifier le volume d’affaire dans lequel les cadres supérieurs s’auto rémunèrent abondamment, le management d’ensemble en est resté au stade du savoir-faire du Maréchal LIAUTEY qui en son temps avait rédigé un document sur le rôle social de l’officier. Evidemment si cette vision paternaliste était alors un progrès considérable aujourd’hui elle a quelque peu vieilli d’autant que les savoirs d’aujourd’hui sont multiples et complexes. Pourtant alors que la dynamique de management devrait se réaliser de manière transversale et à partir de la connaissance pratique du terrain, le mode utilisé reste l’injonction descendante de l’état-major. La communication ascendante n’ayant lieu que pour rendre compte de la mise à exécution des injonctions du sommet de la pyramide. Aujourd’hui, la pression hiérarchique administrative est extrêmement forte en terme de performance mais parallèlement le policier sait qu’il faut compter avec la hiérarchie judicaire loin du terrain mais prompte à relever les manquements procéduraux et enfin les mis en cause peuvent également à leur tour mettre en cause le policier pour tenter de s’exonérer des fautes reprochées.



Paradoxalement donc alors que le travail policier est extrêmement contrôlé, le policier est laissé seul face aux difficultés car ce contrôle se à postériori. C’est Dominique Monjardet (Ce que fait la police, 1996) qui le premier à décrit le type de management spécifique de la police. D’une part, le chef de la police loin de la stupide image du « grand flic », n’existe que par un immense travail d’équipe et d’autre part si le chef fixe un objectif ce sont les policiers praticiens qui sont seuls capables de mettre en œuvre la technique professionnelle pour parvenir à cet objectif. En quelques sorte le management policier est fondé sur la confiance du chef à ses collaborateurs et vice-versa, c’est donc assez éloigné d’un management paternaliste dans lequel le soldat doit obéir aveuglément.



Donc, outre l’erreur stratégique d’avoir imposé au policier « le chiffre » ce qui est surtout frustrant pour le policier c’est de l’avoir privé de la nécessaire marge d’initiative dans son travail qui faisait de lui plus un juge de paix avec une large autonomie qu’un redresseur de tort manichéen.



En conclusion si un policier efficace dans sa mission, considéré par la population et par les autorités ou partenaires est heureux, on peut comprendre qu’aujourd’hui des policiers aient des difficultés. Effectivement, beaucoup de policiers et gendarmes peuvent se sentir englués dans un système de police judiciaire autour d’une délinquance de masse. De même les policiers et les gendarmes ont un rapport avec la population réduit au minimum et dans le système actuel la relation « extérieure » à l’institution est réservée à un certain niveau de la hiérarchie. L’efficience du dispositif de sécurité Intérieure passant immanquablement par des personnels épanouis, il faut donc se préoccuper du stress policier et sûrement aller au de-là du stress directement lié à la mission. Les policiers et gendarmes sont engagés dans une mission difficile, ils acceptent l’idée d’être exposés à la violence et au risque physique mais ils peuvent aussi souffrir du risque « administratif » que l’on doit pouvoir réduire au travers d’une stratégie d’emploi cohérente et d’un management rénové.



Serge SUPERSAC (ancien Commandant de police)














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